L’Alliance impie

L'Alliance impie

François Ier et Soliman le Magnifique contre Charles Quint
Paru le 19 juin 2008
ISBN : 978-2-86645-678-8
Livre en librairie au prix de 22 €
304 pages
Collection : Les marches du temps
Thèmes : Histoire

Tour d’horizon


François Ier, Charles Quint, Soliman le Magnifique : trois souverains arrivés au pouvoir en l’espace de cinq ans dans une période d’expansion où chacun aspire à déborder de ses frontières et à modeler l’histoire au gré de ses intérêts personnels. Leurs destins allaient se trouver inéluctablement liés.
En 1515, quand il accède, à vingt ans, au trône de France, François Ier peut encore aspirer au premier rôle sur la scène européenne. Louis XII lui a laissé un pays prospère, peuplé, dont la combativité a été entretenue par vingt ans de guerres d’Italie. Le jeune roi héritera aussi de son prédécesseur l’obsession d’annexer le riche duché de Milan dont l’ouverture sur la mer, Gênes, est déjà sous tutelle française. Dès la première année de son règne, François Ier, grâce à l’éclatante victoire de Marignan, gagnait le Milanais, et la prépondérance sur l’Italie semblait à sa portée.
L’année suivante, en 1516, Charles de Habsbourg devient, à seize ans, roi d’Espagne. La prise du duché de Milan, placé sous l’autorité nominale de son aïeul, Maximilien d’Autriche, le mortifiera. L’Italie allait désormais devenir la pomme de discorde entre lui et François Ier.
Cependant, Charles Ier d’Espagne avait hérité de ses autres grands-parents, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, une situation empoisonnée sur les rivages méditerranéens de l’Espagne, qui n’allait cesser d’empirer. Après la Reconquista de l’émirat de Grenade par Ferdinand et Isabelle, les Maures andalous réfugiés en Afrique du Nord, alors dite la Barbarie, menaient des raids destructeurs sur les côtes ibériques et mettaient en péril le commerce par voie de mer. Ferdinand d’Aragon, en 1510, avait tenté d’y remédier en conquérant de haute lutte les principales positions côtières de Barbarie. À Alger, le grand centre de la guerre de course, il fit édifier une forteresse, le Peñon, afin de contrôler les mouvements du port. Cependant, alors même que Charles accédait à la Couronne d’Espagne, Alger – la ville mais non la citadelle – tombait aux mains d’un corsaire levantin, Al-Rudj, dit Barberousse. Dès 1518, Charles Ier faisait passer la mer à dix mille vétérérans, et Al-Rudj fut tué. Le problème restait toutefois entier car Kayr-ed-Din, frère du précédent et lui aussi surnommé Barberousse, reprit le pouvoir à Alger. La flotte espagnole envoyée peu après pour le déloger ayant été détruite, Kayr-ed-Din se mit sous la protection officielle du sultan ottoman Selim Ier.
L’année suivante, en 1519, la mort de Maximilien d’Autriche mettait en concurrence Charles Ier et François Ier pour l’élection à la couronne d’empereur du Saint Empire romain germanique. Les Grands Électeurs d’Allemagne, soudoyés par les banquiers de Maximilien, choisirent le premier qui devint ainsi Charles Quint. Son chancelier, Gattinara, allait lui faire miroiter un rêve impérial, celui d’unir l’Europe sous sa domination. Charles Quint, grâce à la politique dynastique de ses aïeux, possédait l’Espagne et l’Autriche, mais aussi une zone en croissant qui allait de la Franche-Comté aux Pays-Bas ainsi que le royaume de Naples et la Sicile qui constituaient une base arrière pour la conquête de l’Italie, sans compter des positions en Afrique du Nord telles que Oran ou Bougie. Charles Quint comptait sur les profits attendus de la conquête en cours du Nouveau Monde pour se rendre maître de l’Europe. Pour François Ier, cerné par l’Empire à toutes ses frontières, l’Italie était la seule issue, et c’est donc là que ses armées engagèrent aussitôt une partie de bras de fer avec celles de Charles Quint.
Arrivait alors en scène un troisième acteur. En 1520, Soliman Ier, surnommé en Europe le Magnifique ou le Grand Turc, et en Orient le Législateur, succédait à vingt-six ans à son père Selim Ier. L’idéologie de la conquête permanente était le fondement de l’État ottoman. La possession de Constantinople, la capitale de l’Empire byzantin prise en 1453, justifiait aux yeux des sultans leur mainmise sur tous les territoires de l’ancien Empire.
Après s’être emparé de Constantinople, Mehmet II, dit le Conquérant, avait entrepris la conquête du bassin oriental de la Méditerranée. Il avait ainsi gagné l’ancienne Grèce jusqu’aux Balkans, et seule la mort l’empêcha de poursuivre sur l’Italie. Son fils Selim Ier imposa la tutelle ottomane sur l’Égypte et la Syrie. Dans le bassin oriental, seule l’île de Rhodes, occupée par les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, refusait de lui payer tribut. Il disposait déjà avec Alger d’une tête de pont pour s’implanter dans le bassin occidental, mais quand il mourut, son protégé, Kayr-ed-Din Barberousse, fut chassé du gouvernement par un cheik berbère.
Quand Soliman accéda au trône, l’État ottoman était au faîte de sa puissance, doté d’une armée immense et très organisée, sans égale en Europe. Le sultan pouvait donc se sentir en mesure de réaliser le rêve de ses prédécesseurs : donner trois pôles à l’empire, Constantinople, mais aussi Rome et Vienne. Les voies qui menaient à celles-ci étaient la Hongrie et la Méditerranée.
Dès 1521, en moins de quatre mois, l’Europe centrale, déjà fragilisée, devint une poudrière. En vue de bloquer l’avancée des Ottomans, déjà basés dans les Balkans, Charles Quint prépara, à partir de Vienne, l’extension de l’Empire Habsbourg en Bohême et Hongrie. Au mois de mai, il mariait son frère, l’archiduc Ferdinand, à Anne Jagellon, sœur de Louis II, roi de Bohême et de Hongrie. Le 8 juillet, ce dernier épousait à son tour Marie, sœur de Charles Quint. Il était prévu qu’en cas de décès de Louis II de Bohême, son beau-frère, l’archiduc Ferdinand de Habsbourg, lui succéderait. Soliman réagit immédiatement en lançant la première campagne de son règne sur Belgrade, capitale de la Slavonie, considérée comme le verrou de la Hongrie. Charles Quint et François Ier, engagés l’un contre l’autre dans un conflit très âpre dans le Milanais, ne pouvaient intervenir. Le 21 août 1521, Soliman faisait son entrée solennelle dans Belgrade qu’il s’empresserait de convertir en base arrière pour la conquête de la Hongrie.
L’année suivante, en 1522, Charles Quint reprenait le Milanais à François Ier. Pendant ce temps, Soliman démantelait le dernier bastion chrétien dans le bassin oriental, l’île de Rhodes, tenue par les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. En Italie, la lutte entre François Ier et Charles Quint se poursuivait, mais l’empereur ne pouvait se rendre sur place car les galères du roi de France contrôlaient la mer depuis Gênes jusqu’au Languedoc. En 1524, l’empereur décida donc d’envahir la Provence pour mettre la main sur Marseille, mais l’entreprise échoua. François Ier crut pouvoir profiter de l’avantage pour reprendre le Milanais. À tort. En février 1525, il subit l’écrasante défaite de Pavie. Son armée est anéantie et lui-même est fait prisonnier. Charles Quint avait la voie libre pour démembrer la France.
Face au danger, Louise de Savoie, mère du roi et régente en l’absence de celui-ci, entreprit alors un vaste effort diplomatique. Elle dépêcha des émissaires auprès de toutes les grandes puissances. Il s’agissait du premier noyau de ces individus chargés de missions délicates qui constituera plus tard la nébuleuse des agents du roi. Dans le cadre de ces manœuvres, Louise de Savoie en appela au Turc, comme on le nommait communément. Les procédures étaient encore ignorées. Un premier émissaire, dépêché sans l’indispensable sauf-conduit, fut assassiné par le pacha de Bosnie. Toutefois, le second envoyé, un noble croate, rompu aux pratiques en vigueur dans l’Empire ottoman, parvint à Constantinople au mois de novembre 1525. Soliman lui remit sa réponse : le temps de préparer son armée, il se mettrait en marche. Dès lors, les relations entre le royaume de France et Constantinople deviennent régulières.
Quand l’émissaire revint, l’aide du sultan était superflue : François Ier venait d’être libéré après avoir accepté les clauses du traité de Madrid et laissé ses deux fils en otage à sa place. Cependant, dès son retour en France, en mai 1526, le roi dénonça ses engagements pour conclure avec ses alliés italiens la ligue de Cognac – dite « Sainte » puisque chapeautée par le pape Clément VII – en vue de chasser les Impériaux d’Italie.
Pendant ce temps, Soliman, comme il s’y était engagé, prit la tête de son armée avec, à ses côtés, son grand vizir, le flamboyant Ibrahim qui, Grec de naissance, connaissait parfaitement les arcanes de la politique européenne. Le sultan se dirigea vers la Hongrie. Après avoir quitté Belgrade, l’armée ottomane, le 20 août 1526, força le barrage que lui opposaient à Mohács les troupes de Louis II, roi de Bohême et de Hongrie. Celles-ci furent écrasées, et le roi, protégé des Habsbourg, trouva la mort. Soliman et Ibrahim repartirent peu après en laissant un pays exsangue et déchiré entre deux rois en guerre. En effet, conformément aux conventions passées, l’archiduc Ferdinand de Habsbourg recueillit la couronne de Bohême. Mais en Hongrie, le parti national qui répugnait à voir le pays gouverné par un étranger, porta au trône Jean Zapolya, voïvode (gouverneur) de Transylvanie. Ferdinand riposta aussitôt en se faisant élire à son tour par le parti adverse roi de Hongrie.
Le premier à féliciter Zapolya fut François Ier. L’homme chargé de cette mission était un Castillan nommé Antonio Rincon. Il avait fait partie du mouvement des Comuneros, qui en 1521 avaient tenté de soulever la Castille contre Charles Quint, une révolte écrasée dans le sang. Rincon dut s’enfuir. Dès l’année suivante, il entrait dans le réseau des hommes de l’ombre du roi de France. Aussi agile d’esprit qu’il était fort de corpulence, il allait devenir le pivot de la politique orientale de François Ier, celui qui ferait ou déferait les alliances entre les nations européennes et l’Empire ottoman. Porteur de messages confidentiels entre le roi et le sultan, il voyagera inlassablement en dépit d’une mauvaise santé. Devenu l’homme le plus recherché sur les terres d’Empire, il sera guetté à tous les points de passage entre la France et Constantinople.
Les félicitations de François Ier au roi Jean – ou Zapolya Voïvode, comme le nommeront les Français – étaient accompagnées d’un traité d’amitié et d’un soutien financier pour intensifier la lutte contre les Habsbourg. Zapolya reprit donc l’offensive, et l’on vit Rincon batailler à ses côtés à la tête de mercenaires polonais. Cependant, Zapolya perdit sans cesse du terrain pour devoir finalement se réfugier auprès du roi de Pologne, son beau-père. Ce dernier, qui souhaitait garder une prudente neutralité, donna asile à son gendre, mais Rincon, déclaré persona non grata à Cracovie, fut renvoyé chez lui.
En Italie, faute d’argent, faute de cohésion, la Sainte ligue rassemblée par François Ier accumulait les échecs. Après avoir dévasté Milan, les mercenaires impériaux vinrent mettre Rome à sac et le pape Clément VII se retrouva prisonnier. Le roi de France voulut alors, avec l’appui financier de l’Angleterre, tenter une contre-offensive dans le royaume de Naples, mais l’entreprise tournera au désastre.
À ce moment-là – nous étions en 1528 –, François Ier, lui-même en grande difficulté à Naples, n’était plus en mesure de soutenir son protégé hongrois. Ce fut sans doute Rincon qui trouva la parade : suggérer à Zapolya de demander la protection de Soliman en s’attachant à lui par un lien de vassalité. L’agent du roi veilla à la bonne exécution du plan. Il revint trouver Zapolya, en Pologne, en dépit de son extradition, pour rédiger avec lui le document avant d’aller en personne le soumettre au sultan. Ainsi, alors que François Ier s’acheminait vers une déroute dans le royaume de Naples face aux Impériaux, à Constantinople, son représentant nouait des relations solides avec Soliman et son grand vizir.

Dans la débâcle des Français, un individu avait joué un rôle déterminant : Andrea Doria, l’un des principaux chefs des galères de France, passé avec son escadre génoise au service de Charles Quint. L’empereur, pour attirer celui qui était considéré comme le meilleur capitaine de la Méditerranée, lui avait accordé le titre d’amiral de la flotte impériale. Issu d’une famille aristocratique, Andrea Doria était l’homme de la Renaissance par excellence : cultivé, ambitieux voire opportuniste, et doué d’un sens politique aigu. S’il avait changé de camp à ce moment précis, c’était parce que la situation était en train de changer aussi. Praticien émérite de la guerre de course, activité lucrative s’il en fut, Doria, lié à la haute finance, était l’ardent défenseur des intérêts de la bourgeoisie marchande génoise. Or, les gros armateurs ligures, entravés jusqu’ici par la tutelle de la France, voulaient participer au mouvement d’expansion au-delà les océans, et, à leurs yeux, celui dont il fallait suivre la fortune était Charles Quint. En atteste la clause qui figurait dans le contrat conclu entre Doria et l’empereur, à savoir l’autorisation accordée aux Génois de commercer sur toutes les mers du globe.
Le départ de Doria marqua pour François Ier le début d’une descente aux enfers. Le capitaine génois harcelait sa flotte et coupait les communications et les approvisionnements de l’armée française dans le royaume de Naples. Comble de malchance, une épidémie vint se mettre de la partie, causant dans les rangs français une hécatombe comparable à celle de Pavie. Le royaume de Naples, irrémédiablement perdu pour le roi de France, allait donc devenir une succursale de l’Espagne. En outre, après ce premier succès, Andrea Doria entreprit de libérer Gênes, sa patrie, de la tutelle française. En moins de trois semaines, après avoir de nouveau mis en déroute la flotte royale, il souleva la population contre l’occupant. La garnison française fut massacrée et Doria porté au pouvoir. Il désigna douze sages qui annulèrent l’ancienne Constitution de la ville pour en promulguer une autre qui ne laissait aucune place à la faction profrançaise de la ville. La république de Gênes, ses banquiers mais aussi ses armateurs, ses chantiers navals et sa flotte passeraient donc, bon gré pour certains, mal gré pour d’autres, au service de l’Empire.
En juin 1529, après une ultime défaite subie à Landriano à la frontière du Milanais, François Ier ne sera plus en mesure de disputer militairement ni l’Italie, ni la suprématie sur la Méditerranée occidentale à Charles Quint. En cette même année 1529, ce dernier parvenait à établir le contact qu’il recherchait depuis longtemps avec le shah de Perse. Dès que Soliman partira en campagne vers l’Europe, les Perses l’attaqueront sur ses frontières orientales, raison pour laquelle il devra toujours revenir rapidement dans sa capitale.
La partie allait se jouer désormais entre Soliman le Magnifique, Charles Quint et François Ier qui, malgré ses déboires, n’avait pas renoncé à ses ambitions. Les trois souverains, arrivés à la maturité, entraient dans l’étape la plus brillante de leurs règnes respectifs. L’Europe entière – la Seigneurie de Venise, l’Angleterre, les princes allemands, les Pays-Bas et jusqu’au roi de Danemark – sera entraînée dans la tourmente.

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L’alliance nouée par François Ier avec le sultan ottoman Soliman le Magnifique fait scandale à l’époque : les Turcs mènent alors la dernière et la plus dangereuse percée d’une puissance islamique au cœur de l’Europe chrétienne. Encore faut-il replacer cette collusion diplomatique et militaire dans la conjoncture mouvementée propre à la période. En cette première moitié du XVIe siècle, l’Empire Habsbourg s’étend au point de menacer directement le royaume de France. Or, qui peut desserrer l’étau et entamer un bras de fer avec l’empereur Charles Quint, sinon le sultan Soliman le Magnifique ? Les relations du souverain français avec l’Empire ottoman s’inscrivent dans un jeu politique complexe impliquant la papauté, la République de Venise, différentes grandes familles italiennes, l’Angleterre de Henri VIII et jusqu’aux princes allemands opposés à l’Empire Habsbourg, souvent acquis aux doctrines « hérétiques ». Face aux visées impérialistes de Charles Quint, François Ier va prendre la tête de la résistance. Son alliance avec Soliman lui vaut la collaboration, parfois encombrante, du corsaire Barberousse, au service de Constantinople, qui va mettre à feu et à sang la Méditerranée occidentale, l’un des principaux théâtres, avec la Hongrie, de l’affrontement. Tel est le contexte dans lequel François Ier et Soliman le Magnifique conçoivent un projet dont seuls d’incroyables concours de circonstances empêchent la réalisation : le partage de l’Italie.

Édith Garnier est diplômée d’histoire maritime. Son précédent ouvrage, L’Âge d’or des Galères de France. Le champ de bataille méditerranéen (Le Félin) a obtenu le prix Diane Potier-Boès de l’Académie française en 2007.